IN THE CITY
L’expérience que nous éprouvons en entrant dans une ville connue ou méconnue est toujours unique. Elle peut soulever des questionnements très variés et souvent contradictoires.
L’identité de la ville en question se trouve-elle dans son architecture ou plutôt dans la population qui l’habite ? Est-ce son histoire ou plutôt les mythes qui la bâtissent ? Jusqu’où la ville conditionne-elle nos vies et nos comportements, nos sentiments ?
Est-ce qu’une ville se visite ou se vit ?
Les quinze artistes plasticiens sélectionnés pour l’exposition In the City proposent leurs réponses à ces questions.
Une des figures les plus intrigantes de la peinture du XXe siècle, Edward Hopper, a su traduire un sentiment de mélancolie et de solitude particulier au milieu urbain. Ce sentiment accompagne aussi l’œuvre de Marc Goldstain, intitulée Carrefour at night. Le spectateur se trouve devant un super marché au moment de sa fermeture, qui ne devient qu’un lieu désolé, critique pointue d’une société de surconsommation.
André Palais joue avec les mêmes sentiments et les lumières artificielles nocturnes. L’homme issu très probablement des milieux défavorisés, sous l’effet d’alcool, est hypnotisé par la lumière blanche, aveuglante, d’une piscine qui elle-même traduit son propre vide intérieur.
Ce vide, mais cette fois-ci sur le plan sociologique, est également présent dans le travail de Mihael Milunovic. Les personnages souvent sans visage, se promènent dans les villes, théâtre burlesque d’un hypothétique futur fondé sur les ruines des idéologies totalitaires.
Les ruines, causées par les guerres ou par une urbanisation accrue, sont le sujet des œuvres sculpturales de Régis Sénèque. En recouvrant complètement les briques cassées d’une couleur blanche, Sénèque donne une nouvelle vie, cette fois-ci esthétique, à ses formes, tout en créant une situation symbolique et plastique paradoxale.
Un autre artiste travaille sur l’utilisation des matières de récupération directement issues des milieux urbains. D’une manière ludique, Eric Delmar avec ses sculptures/assemblages, construit une architecture à la frontière de l’art brut et du constructivisme russe du XXe siècle.
En utilisant des briques LEGO comme point de départ pour ces impressions numériques, de la série Funky town, Misko Pavlovic soulève de son côté des problématiques écologiques dues à l’urbanisation compulsive et acharnée.
Les villes géographiquement ou historiquement lointaines inspirent plusieurs artistes de cette exposition.
Brankica Zilovic brode des plans et des topographies de villes. De leurs rues étroites et labyrinthiques sortent des fils de lin, faisant peut-être allusion au mythe de Thésée.
La ville médiévale est le sujet du dessin au fusain de Marko Velk. L’artiste crée une atmosphère onirique où la citadelle de la ville adriatique de Dubrovnik est en train de s’évaporer devant nos yeux comme le souvenir d’un rêve se dissipant à la levée du jour.
Olivier Morel, pour sa part, nous emmène dans un pays lointain. En se focalisant sur les citadins de la ville de Tokyo, Morel analyse les codes vestimentaires et le mode de vie de la jeune génération nippone et son besoin avide de démarcation dans une société toujours traditionnelle et collectiviste.
Par ailleurs, Ana Foka joue sur les juxtapositions et superpositions des images et des slogans politiques et publicitaires issus du quotidien des villes grecques par un jeu visuellement riche et intriguant. Il accentue la collision entre l’apparence d’un paradis touristique et culturel d’un côté, et de la réalité d’une profonde crise économique et politique de la société grecque d’aujourd’hui, de l’autre.
La mutation de la ville peut également être purement esthétique. Comme dans les vidéos d’Ivan Milisic, artiste plasticien mais aussi architecte et musicien de formation, qui nous offre une œuvre immersive des constructions architecturales épurées en constant mouvement.
Quant à Bogdan Pavlovic, il recherche des formes minimales et géométriques dans le détail urbain. Ainsi, en utilisant l’acrylique rouge sur la matière brute de la moquette noire, le sol d’une cour de récréation devient un terrain dramatique offrant une nouvelle lecture du phénomène pictural du clair-obscur.
Raphaël Renaud appréhende la géométrisation d’une autre manière. Grâce à ses effets de pixellisation, faisant échos aux logiciels et images numériques, ses villes nocturnes brillent d’une lumière particulière, riche en couleur.
Anne Guillotel crée une topographie où nature et urbain s’entremêlent. Ses formes mi abstraites surgissent comme des îles perdues dans un océan d’aplats chromatiques.
En sortant dans la rue et à travers une approche expressive et épurée, Mihailo Stanisavac mène un journal intime d’une rare poésie qui s’apparente aux lavis et la calligraphie des grandes maitres de l’art classique chinois.
De la Renaissance à nos jours l’art a donné des réponses diverses et nombreuses sur le sujet du paysage urbain. Depuis le XX siècle les prises de position plastiques et existentielles deviennent particulièrement contrastées. Ainsi les expressionnistes allemands représentent la ville comme une cage pour une génération perdue et profondément marquée par les deux guerres mondiales. Contrairement à eux, les Futuristes italiens trouvent dans la ville un symbole de force et de progrès.
Dans une perspective artistique post moderne, les artistes de l’exposition In the City montrent, quant à eux, chacun à leur manière, les enjeux d’une évolution fulgurante des modes de vie urbains dans un monde contemporain de plus en plus globalisée.
Bogdan Pavlovic